Attention article disruptif

Ce titre ne vous dit rien ? C’est normal. Comme souvent avec les buzzword :…


Ce titre ne vous dit rien ? C’est normal. Comme souvent avec les buzzword : “disruptif” a perdu son sens premier depuis longtemps. Que signifie-t-il vraiment ? Et surtout, comment expliquer un tel engouement pour son emploi ?

Cela fait plusieurs années que le terme est en vogue. Cet adjectif nous est parvenu, il y a un peu plus de dix ans, de la Silicon Valley. On parlait alors « d’innovations disruptives” pour qualifier une innovation qui casse les codes du domaine au sein duquel elle est produite. Aujourd’hui, le terme n’est plus réservé au monde des start up. Les grandes entreprises et même les hommes politiques cherchent à “disrupter le système”.

Car la disruption n’est qu’un symptôme d’une culture de l’innovation de rupture désormais répandue. Sans parler de phénomène inédit, on observe qu’un nombre croissant de marchés est impacté par des acteurs qui, portés par la puissance des NTIC[1], rompent avec l’ordre établi pour y proposer une nouvelle approche. Airbnb ou Netflix ont ainsi cassé les systèmes de l’hôtellerie et de la location de film. Poussées par la tendance, les entreprises les mieux enracinées se mettent à repenser radicalement leurs modes d’innovation. Avec un enjeu pour les RH : bousculer les méthodes, les espaces physiques de référence et les valeurs des individus pour faire émerger une nouvelle culture de l’innovation.

Alors, comment approcher une telle problématique ? On note aujourd’hui que l’incitation organisationnelle s’effectue souvent via des moments, des lieux ou des termes consacrés à la créativité. Ainsi les hackathons[2] ou la pratique ponctuelle du design thinking[3]cherchent à imposer des méthodes de travail orientées vers le prototypage de nouvelles idées. Les Fablab[4] et les espaces collaboratifs prennent place dans les entreprises. Le langage étant vecteur de culture, les dirigeants empruntent et diffusent à dessein des termes issus du monde des start up, “disruptif” en est le meilleur exemple. Ces réponses au défi de l’innovation radicale portent-elles leurs fruits ?

Pas vraiment selon Bernard Buisson[5], qui, dans la Harvard Business Review, juge sévèrement ces solutions en les qualifiant de “partielles”. Selon lui, et à l’appui d’une étude[6] menée par Andrew King et Baijir Baatartogtokv sur 77 cas d’innovations présentées comme disruptives par des grandes entreprises, le culte de l’action et du résultat à court terme est trop profondément ancré dans les grandes entreprises pour permettre aux inventions d’un jour de devenir les innovations radicales de demain.

Nous constatons tout de même une vraie nécessité pour les entreprises à se réinventer plus fréquemment que jamais pour faire face à ce monde aux mouvements soudains et inattendus.

Développer l’intrapreunariat[7] et donner du temps et des moyens aux « intrapreneurs », nous paraît un bon moyen de faire émerger des innovations de rupture. Savez-vous, par exemple, qu’en 2011 un cabinet de formation rennais, Regards, a permis le développement d’une solution digitale dédiée aux interactions de groupe ? Deux ans plus tard elle a été lancée sous le nom de Klaxoon. En 2018, Regards a levé 50 millions d’euros pour faire rentrer Klaxoon dans toutes les salles de réunion du monde.  Conclusion ?

Le management doit ainsi soutenir plus d’agilité et de mouvement au sein de l’organisation. L’expérience nous montre qu’en donnant sa place à l’individu et en sponsorisant les belles initiatives personnelles, il est possible de faire émerger une véritable culture de l’innovation. Car, comme l’écrit Norbert Alter[8] : “L’innovation ne se décrète pas”.

[1] Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.

[2] Événement au cours duquel des spécialistes se réunissent durant 24 à 72 heures autour d’un projet collaboratif de programmation informatique ou de création numérique.

[3] Ensemble de méthodes qui permet de résoudre un problème d’innovation ou de manager un projet d’innovation en appliquant une démarche similaire à celle du designer.

[4] Contraction de Fabrication Laboratory, laboratoire de fabrication en français, est un lieu ouvert au public mettant à la disposition de ce dernier un arsenal de machines et d’outils utilisés pour le prototypage d’objets de toutes sortes

[5] https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2017/03/14929-disruption-obsession-sterile-grandes-entreprises/

[6] https://sloanreview.mit.edu/article/how-useful-is-the-theory-of-disruptive-innovation/

[7] Démarche d’entrepreneuriat au sein même d’une entreprise existante. L’entreprise héberge et couve les projets innovants qui naissent en son sein.

[8] Norbet Alter, L’innovation ordinaire, PUF Sociologies, 2000